Dans «La Fable des abeilles», Bernard Mandeville décrit une société dans laquelle l’égoïsme est une des conditions de la prospérité. Une fable riche d’enseignement concernant le mode de fonctionnement de nos entreprises et la valorisation des employés.

Bernard Mandeville a publié en 1705 une fable devenue un classique des sciences sociales, intitulée «La Fable des abeilles, ou les vices privés font le bien public». Cette histoire décrit la société de l’époque sous la forme d’une ruche dont les actions de ses habitantes étaient conduites uniquement par l’égoïsme. Une métaphore qui reste riche d’enseignements au XXIe siècle dans le cadre de l’entreprise.

Une société basée sur l’égoïsme

Son auteur, Bernard Mandeville est né en Hollande en 1670. Diplômé en philosophie et en médecine, il suit ses parents huguenots qui émigrent en Angleterre au début du 18ème siècle afin de fuir la persécution religieuse. Tout en pratiquant la médecine, il développe un intérêt non seulement pour la politique et l’économie, mais également pour les fables. C’est notamment lui qui traduira en anglais Les Fables de La Fontaine en 1703.

Auteur à son tour, Mandeville fait paraître un petit livre qui va créer un véritable scandale : « La Fable des abeilles, ou les vices privés font le bien public ».  

Cette histoire décrie la société anglaise, mais aussi plus largement la société de l’époque, sous la forme d’une ruche composée d’un grand nombre d’abeilles. Vivant dans le confort et le luxe, « elle était, aux yeux de tous, la mère la plus féconde des sciences et de l’industrie ».

Cette ruche avait toutefois une singularité : toutes les actions de ses habitantes étaient conduites par l’égoïsme. Et les plus riches d’entre elles exploitaient les plus pauvres afin de nourrir leurs convoitises et leurs vanités.

Elles consommaient ainsi beaucoup de produits et services de luxe (mets, meubles, vêtements…), ce qui donnait du travail aux autres.

“ La fertile ruche était remplie d’une multitude prodigieuse d’habitants, dont le grand nombre contribuait même à la prospérité commune. Des millions étaient occupés à satisfaire la vanité et l’ambition d’autres abeilles.”

Dans cette société, prospéraient les êtres les plus vicieux et « tous ceux qui, ennemis du simple travail, se débrouillent pour détourner à leur profit le labeur de leur prochain, brave homme sans défiance ».

Les avocats, par exemple, s’arrangeaient pour ne pas résoudre les affaires et même augmenter les querelles, afin d’avoir plus de travail. Les médecins ne guérissaient pas entièrement les malades, afin d’avoir des salles d’attente bien remplies. Et étonnamment, cette société était prospère et vivait dans l’abondance…

“ Dans tous les métiers et toutes les conditions il y avait de la fourberie. […] C’est ainsi que, chaque ordre était ainsi rempli de vices, mais la Nation même jouissait d’une heureuse prospérité.”

Tout semblait aller très bien, si l’on peut dire… Jusqu’au jour où se produisit une véritable tragédie : les abeilles décidèrent de devenir honnêtes !

Le problème, c’est qu’en abandonnant leur mauvaise conduite, toute la structure sur laquelle reposait leur société se déstabilisa.

En ½ heure, les prix s’effondrèrent, car les marchands se mirent à vendre au juste prix.  Les patients guérirent, et nombre de médecins durent fermer leur cabinet.

Comme il n’y avait plus de conflits, les tribunaux et les prisons se vidèrent. Ce qui envoya de facto au chômage avocats, huissiers et  juges. Dans les administrations et les entreprises, ce qui était fait autrefois par 3 ou 4 personnes était fait maintenant par une seule, et le nombre de sans-emplois augmenta considérablement.

Les abeilles décidèrent de ne plus dépenser inutilement, et la consommation chuta, essentiellement celle du luxe et de l’ostentatoire, économie qui nourrissaient le plus grand nombre. On ne construisait plus de grandes et belles demeures, et les ouvriers perdirent à leur tour leur emploi. Etc, etc…

Résultat : l’économie s’effrondra rapidement, et ce fut la ruine de toute cette société. 

Une morale sulfureuse

Alors, nous aurions aimé ici une belle morale pour cette fable. Mais le problème, c’est que Mandeville va en conclure que l’égoisme est une des conditions de la prospérité :   

« Il faut que la fraude, le luxe et la vanité subsistent, si nous voulons en retirer les doux fruits. […] Le vice est aussi nécessaire dans un Etat florissant que la faim est nécessaire pour nous obliger à manger. Il est impossible que la vertu seule rende jamais une Nation célèbre et glorieuse ».

Cette conclusion fît scandale à l’époque, à tel point que John Wesley le dénonça comme un dépravé comparable à Machiavel, et les religieux renommeront Mandeville «Man-Devil ».

Autant vous dire que je ne partage pas non plus sa conclusion, et nous pourrions à loisir trouver une chute plus moraliste !

Toutefois, cette fable reste riche d’enseignement, et j’aimerais en extraire une seule idée principale dans ce billet (parmi tant d’autres possible !) Elle concerne le mode de fonctionnement de nos entreprises et la valorisation des employés.

 

“ Il y avait des guerriers qui, affrontant le danger, paraissaient toujours dans les endroits les plus exposés. […] Tandis que d’autres, qui plus prudents n’allaient jamais au combat, tiraient la double paye, pour rester tranquilles chez eux.”

Les moins méritants sont souvent les plus récompensés

Dans cette ruche, la plupart des soldats sont des peureux. Et comme ceux qui refusent de combattre sont les seuls à revenir vivants, ce sont donc eux qui sont décorés et qui reçoivent les honneurs en cas de victoire.

Cette analogie reprend un fait hélas bien réel dans nos entreprises. Véritables ruches elles aussi, elles sont bien souvent composées d’individus que nous pourrions diviser en deux catégories :

1) D’un côté, les véritables combattants : les abeilles

Ayant la culture du résultat et la volonté de faire réussir les projets, ces « abeilles » s’investissent pleinement dans les dossiers. Problème : leur engagement peut attirer la jalousie de certains collègues ou supérieurs, et ces collaborateurs sont bien souvent sacrifiés par jalousie sur l’autel de la réussite.

2) De l’autre côté, les employés plus peureux, moins engagés : les bourdons

Ces « bourdons », peu téméraires, ne prennent généralement pas leur responsabilités, et encore moins les décisions parfois nécessaires, mais fâcheuses. Toutefois, ce sont souvent eux qui reçoivent les lauriers lorsqu’un projet réussit, car ils parviennent à faire le moins d’ombre possible à leur entourage tout en écartant les abeilles trop actives autour d’eux.

Comme dans la Fable de Mandeville, la morale n’est pas la plus belle vous en conviendrez ! Alors, essayons de remédier à cette contradiction.

Trois conseils pour motiver les équipes

Vous l’avez compris, ce sont bel et bien les abeilles qui font avancer l’entreprise et mener à bien les projets.

Les bourdons font souvent plus de bruit (ils savent mieux « communiquer » sur leur travail et le champs de leurs responsabilités). L’abeille est, par nature, moins bruyante, mais elle est terriblement efficace à la tâche !
Vous avez donc tout intérêt à vous appuyer sur elles pour développer votre activité. Alors, voici trois conseils pour les motiver :

1) Identifier vos abeilles et vos bourdons

– Définissez les éléments les plus impliqués et les plus compétents de vos équipes :  les butineuses. Fidèles et dévouées dans leur tâche, elles ne perdent en général pas de temps à faire de la politique pour obtenir de l’avancement. Pour elles, c’est la valeur du travail qui doit apporter réussite et reconnaissance.

– Identifiez-les, et n’hésitez pas à leur confier des responsabilités.Valorisées et reconnaissantes pour votre confiance, elles se montreront encore  plus investies et fidèles dans leur activité.

– Placez vos meilleures abeilles à vos poste-clés.
Et appuyez vous sur elles pour mener à bien vos différents projets !

2) Passez en mode Start-Up !

Le monde d’aujourd’hui évolue très rapidement. Privilégiez un mode de management sur le modèle des start-up pour une croissance rapide dans un cadre de travail optimum :

– Évitez autant que possible le système hiérarchique pyramidal,
en privilégiant la transversalité. Vous montrez ainsi à vos butineuses qu’elles peuvent travailler de façon autonome. Essayez, vous serez surpris du résultat !

– Laissez vos abeilles s’épanouir : innovation ouverte, convivialité managériale… Oubliez le management par la peur, et instaurez un climat propice aux échanges et à la créativité.

– Travailler dans des conditions optimales (bureaux agréables, open-space, relations détendues…). Bichonnez vos abeilles, elles n’en seront que plus productives !

3) Sachez valoriser les efforts

Avec la crise financière, beaucoup d’entreprises ont réduit leurs effectifs. Ce qui a eu pour effet d’augmenter la charge de travail par employé. En surcapacité, les équipes sont bien souvent démotivées.

Alors n’oubliez pas de valoriser les effort de votre ruche.
En premier lieu, il y a bien entendu les augmentations de salaire pour les plus méritants. Mais celles-ci ne sont pas toujours possible au regard du contexte économique. Soyez créatifs ! Chèques ou coffrets-cadeaux, formations… Vous pouvez imaginer d’autres possibilités qui auront le même effet motivant sur vos troupes.

Prenez ainsi l’exemple de Napoléon. Véritable adepte de la Promotion au Mérite, l’Empereur avait mis en place un système de récompenses et de décorations pour ses meilleurs éléments.

La fable des abeilles nous montre par l’absurde les déséquilibres de nos organisations, et comment – bien souvent – nous nous reposons sur les éléments les moins performants et les moins impliqués dans nos entreprises.

Alors, sachez bien identifier vos abeilles, appuyez-vous sur elles et donnez leur un cadre de travail idéal.

Vous pourrez ainsi réécrire le titre de cette histoire :
«Les vices privés La valorisation des plus méritants fait le bien public».

Cette chronique est parue initialement sur LE CERCLE LES ECHOS.

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