Tout le monde est d’accord pour dire que la banque du futur ne ressemblera pas à celle d’aujourd’hui. Et pourtant, les banques évoluent dans un écosystème qui a tendance à les brider en les focalisant sur des performances chiffrées parfois contradictoires. Entretien avec Pierre Blanc, associé fondateur du Cabinet Athling.
« Si en 1800, on avait demandé à un savant quelconque ce que serait la science du 19e siècle que de bêtises il aurait dit, grand Dieu ! Cette pensée m’empêche de vous répondre. Je crois qu’on obtiendra des résultats étonnants. C’est justement pour cela que je ne puis rien vous en dire. Car si je les prévoyais, que resterait-il d’étonnant ? ».
Nous devons cette citation au grand mathématicien français Henri Poincaré. Demain serait donc cet horizon étonnant qu’il faudrait bien se garder de dessiner de peur d’en retirer la saveur. Et pourtant, si l’avenir reste bien insondable aujourd’hui, c’est dans l’exercice de la prédiction que l’étonnement et le plaisir sont de mise.
Tout le monde est d’accord pour dire que la banque de demain ne ressemblera pas à celle d’aujourd’hui. Et pourtant, les banques évoluent dans un écosystème qui a tendance à les brider en les focalisant sur des performances chiffrées parfois contradictoires : les actionnaires, les pouvoirs publics, les Etats et les banques centrales, les organes de contrôle.
De plus, leur vitesse d’évolution est freinée par leur patrimoine informatique, et la taille des équipes qu’il faut faire bouger pour réussir ces transformations jugées inévitables. C’est toujours trop lent pour des observateurs qui les comparent à des dinosaures. Ils leur prédisent même une fin proche au profit d’opérateurs comme les GAFA ou les FinTechs, qualifiés de plus agiles, aux plans de communication millimétrés.
L’histoire semblerait être, belle et bien, écrite. Pourtant, le terme de banque recouvre des notions et des réalités différentes. S’agit-il des opérations réalisées par les banques ? Des relations qu’elles entretiennent avec leurs clients ? Du banquier lui-même ?
La banque est fragilisée sur son cœur de métier, mais reste incontournable
Avant de dessiner la banque de demain , il est indispensable de s’arrêter, quelques instants, sur les figures imposées à ces entreprises, souvent centenaires.
Les banques françaises sont encadrées de manière stricte par des textes législatifs et réglementaires, en particulier la loi bancaire de 1984. Une banque est définie par ses opérations, à savoir la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement. Le législateur a autorisé depuis, sous certaines conditions, la réalisation d’opérations de banque par des établissements non bancaires comme les établissements de paiement, les établissements de monnaie électronique, ou, plus récemment, les plateformes de financement participatif.
Cette évolution a été voulue pour stimuler la concurrence et l’innovation. Cependant, la gestion des comptes de dépôt reste l’apanage des banques qui, de fait, sont des acteurs incontournables. La disparition des banques stricto sensu n’est donc pas pour demain.
La relation client échappe aux banques
Comme tous acteurs économiques, la banque est de plain- pied dans l’ère digitale avec son lot de questions et de transformations. Que peut-on numériser ou automatiser ? Comment faciliter les relations à distance sans sacrifier l’agence traditionnelle ? Quel va être le rôle du conseiller bancaire en agence ? Doit-il être un généraliste ou un spécialiste ? En voulant donner plus d’autonomie à leurs clients et réduire, de fait, leurs coûts d’exploitation, les banques s’en éloignent.
Ainsi, il est question, aujourd’hui, d’une métamorphose radicale, brutale même, de réinvention en profondeur dans la manière de rendre les services bancaires et de gérer la relation client, et non pas de la banque en tant qu’entreprise. Les dirigeants ont bien conscience du danger que représentent la captation des contacts client très en amont par des plateformes non bancaires ou l’origination de flux de paiement par d’autres acteurs que les banques : les cantonner à un rôle de comptable des mouvements sur les comptes de leurs clients, une sorte de caisse enregistreuse moderne et invisible.
Les banques paraissent moins armées pour revoir de fond en comble leur mode de relation avec leurs clients. Peut- être pourraient-elles alors passer à l’étape suivante ?
Prochaine étape ? Le banquier ?
Se dirige-t-on vers une banque sans banquier ? Cette expression, qui pouvait relever de la provocation il y a encore une dizaine d’années, n’a rien de choquant aujourd’hui. Les progrès technologiques, notamment en matière de puissance de calcul des processeurs, nous font passer de l’ère digitale à l’ère cognitive. Il n’est plus seulement question d’automatisation, mais bien de remplacer le conseiller bancaire, le comptable ou le juriste par des machines, au moins en partie.
Les algorithmes sous- jacents nourris par de très gros volumes de données sont capables de reproduire des fonctions cognitives complexes de l’être humain. L’intelligence artificielle s’appuie sur des techniques d’apprentissage, du machine learning au deep learning, utilisées pour la reconnaissance des formes ou pour le traitement du langage naturel. La mémoire courte indispensable pour entretenir une conversation est simulable. La distance qui séparait hier l’Homme et la machine diminue drastiquement. Il est probable qu’il soit très difficile de les distinguer très prochainement dans une discussion. L’existence même du banquier serait alors remise en cause.
Est-ce que cette vision simpliste sera acceptée par les clients? Finalement, c’est bien de nous, en tant qu’être humain, dont il est question, c’est-à-dire de la place que nous nous réservons dans le monde du travail de demain !
« Se dirige-t-on vers une banque sans banquier ? Cette expression […] n’a rien de choquant aujourd’hui. »
La banque, reflet d’un monde en train de naître
Dessiner la banque de demain, ce n’est pas seulement s’interroger sur la banque proprement dite ou sur les barbares, communément appelés FinTechs, ou sur la place des nouvelles technologies, c’est dessiner la société de demain, celle dans laquelle nous vivrons. Les réponses sont loin d’être immédiates ou binaires. Prenez par exemple l’évolution des agences bancaires. Tout le monde s’accorde à penser que leur nombre va baisser dans des proportions significatives, et ce malgré les discours rassurants. Imaginez l’impact sur des effectifs qui se comptent en centaines de milliers.
Derrière cette perspective, vous voyez poindre la question de l’emploi au sens large, du contrat de travail, de la place des robots dans notre société, d’un revenu universel d’existence… L’âge est un critère déterminant pour des produits bancaires. Que se passerait-il si les découvertes en biologie nous faisaient gagner rapidement 10 ou 20 ans de plus ?
Les banques ont encore beaucoup d’atouts à faire valoir : à commencer par leur longue histoire qui leur confère légitimité et confiance, des bases de données fournies, des talents nombreux, la sécurité des opérations traitées. Sauront-elles les utiliser pour survivre ou pour se réinventer? Ces forteresses se fissurent avec les NBIC et se fragilisent avec la survenance de nouveaux risques liés au réchauffement climatique, aux flux migratoires, à la dégradation de notre environnement (ex. pollution), à la santé publique (épidémie, nouvelles maladies), aux nouvelles formes de terrorisme (cyberattaque) et à leurs conséquences, à une croissance atone (chômage élevé, consommation en berne), etc.
Si elles ont tardé à entrer dans l’ère digitale, elles ont la possibilité d’être une force motrice dans l’ère cognitive qui nécessite des investissements conséquents en infrastructure technique. Nous sommes au début de cette nouvelle ère. Tout reste à faire.
Soyons tout de même vigilants sur leur avenir avant de les rayer de la carte d’un trait de plume. A travers le leur, c’est du nôtre dont il est question.
Cet article est extrait du livre blanc « L’évolution du Modèle Bancaire à l’ère du Digital » téléchargeable gratuitement sur ce blog.